Argumentation

Symposium T7.1 Politiques linguistiques universitaires

Argumentaire

 

 

L’alliance d’universités européenne NEOLAiA[1], dont l’un des objectifs est de promouvoir une politique de diversité et d’inclusion, a pour ambition d’élaborer une Charte commune quant à la politique linguistique plurilingue et interculturelle des universités partenaires, ainsi qu’un certificat d’accréditation pour l'enseignement plurilingue et interculturel. Dans le cadre de cette mission portée par les universités de Jaén et de Tours, un symposium portant sur les politiques linguistiques universitaires se tiendra à Tours en octobre 2024. Il s’agira de créer un espace de réflexion sur une internationalisation des universités qui prenne au sérieux les enjeux de la diversité linguistique et culturelle en contexte formatif, au-delà d’une seule vision technique et économique de la gestion des langues dans l’enseignement supérieur, et en adéquation avec les grandes orientations des politiques linguistico-culturelles déjà mises en place par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe[2]. Les questions linguistiques, approfondies dans ce symposium, seront ainsi considérées au prisme d'une réflexion sur leur rôle dans l'apprentissage/appropriation/enseignement des disciplines universitaires et l’élaboration des sciences, et pas uniquement pour la plus-value qu'elles peuvent représenter sur les marchés des études et du travail dans un contexte mondialisé. In fine, le travail collaboratif mené dans ce symposium constituera la base de l’élaboration d’une Charte commune sur la politique linguistique et interculturelle des universités partenaires. Conscients des effets parfois trop normatifs que ce type de document peut produire, il s’agira de veiller à ce que ces recommandations soient formulées de manière suffisamment ouverte. Il sera par ailleurs nécessaire de préciser cette politique linguistique pour s'assurer qu’elle ne conduise pas nécessairement à une anglicisation implicite de l'enseignement supérieur. Il s'agira également d'harmoniser les exigences de base auxquelles le personnel académique et administratif devra répondre pour participer aux programmes plurilingues mis en place dans chaque université partenaire (c’est le sens du Certificat d’accréditation, qui sera mis en place dans ce projet européen, de manière complémentaire à la Charte).

 

Le travail de réflexion sera mené en trois temps lors de ce Symposium, en alternant des conférences de spécialistes de politiques linguistiques et de didactique des langues et des table-rondes réunissant des membres des universités partenaires et des collègues de différents pays impliqués dans des recherches sur les questions de plurilinguisme et d’interculturel dans la sphère académique.

 

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  1. 1.     Anglicisation de l’enseignement supérieur : présence de l’anglais et de la diversité de ses usages

 

Dans les stratégies d'internationalisation des universités, les politiques linguistiques sont souvent présentées comme étant au service de l'attractivité internationale. Dans cette optique, l'usage de la langue anglaise est justifié par l’objectif d'attirer le plus grand nombre d'étudiant.es et de permettre aux universités d'accéder à de bonnes positions dans les classements internationaux. Dans le présent cas, où une langue prévaut sur les autres, la politique peut être qualifiée de « planification linguistique par défaut » (Baggioni, 1996) dans la mesure où elle suit le cours d’un « marché des langues » et où le politique est principalement pensé dans une optique économiciste. Cette optique est simplificatrice, d'une part parce qu'elle occulte le rôle des langues dans l'élaboration de la pensée et des connaissances, d'autre part parce qu'elle ne se préoccupe pas des possibles bienfaits des pratiques plurilingues dans les situations de recherche et d'enseignement (Berthoud[3]). F. Grin évoque ainsi « une vision tronquée de ‘l’internationalité’, puisqu’elle en évacue la diversité linguistique » (Grin, 2022 : 125). Au niveau des savoirs non-linguistiques, C. Truchot (2018) pointe le fait que dans certaines formations dispensées en anglais la diversité des références mobilisées est également atrophiée, se réduisant aux travaux principalement anglo-américains, et ignorant les travaux réalisés dans les domaines scientifiques en question dans d’autres aires linguistiques et culturelles, ce qui peut participer à la standardisation des connaissances (Hagège 2012, 2013) et à des formes d’« impérialisme linguistique » (Phillipson, 2019). Par exemple, dans le domaine du management, J.-C. Usunier (2010) montre que le fait de réaliser des comparaisons entre différentes cultures de management à partir de questionnaires en anglais, partant du principe que des concepts sont équivalents en différentes langues, « […] tend à estomper les différences culturelles entre contextes linguistiques » (ibid. : 23). En outre, la question se pose de la compétence en anglais des enseignants et des étudiants et de son influence éventuelle sur la qualité des enseignements : nuances dans l’expression de la pensée, argumentation et complexité limitées, interactions basiques, etc. (Hughes, 2007 : Truchot, 2018). Au-delà de ce choix du « tout anglais » qui ne peut tenir lieu de politique linguistico-culturelle au sein des établissements d’enseignement supérieur européens, il est donc primordial d’envisager la possibilité d’autres modalités de formation intégrant la diversité linguistique et culturelle à l’université.

 

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  1. 2.     Perspectives plurilingues et interculturelles dans l’Enseignement supérieur

 

Plus positivement, sur les plans de la recherche comme de l'enseignement et de l'apprentissage disciplinaire, la question des perspectives plurilingues en éducation doit être intégrée à la réflexion. J.-C. Beacco affirme par exemple que « l'utilisation d'une langue étrangère en même temps que la langue maternelle permet des approches ‘multiperspectives’ des concepts et des notions, des procédures, des méthodologies et des épistémologies des disciplines, qui sont fondamentales pour leur compréhension […] » (Beacco, 2016 : 196-197)[4]. Il poursuit en préconisant des modalités d'enseignement qui évitent la mise en place de situations monolingues superposées au profit de situations véritablement plurilingues (ibid.). Par exemple, une démarche académique plurilingue aurait pour objectif de faire réfléchir au sens des concepts et au choix des termes (ce qui sera approfondi dans le troisième temps de ce symposium). Au-delà de l’anglais comme « lingua academica […] repos[ant] sur l’illusion que les langues sont transparentes et que les modes de communication sont universels » (Berthoud et Gajo, 2020), il s’agit d’imaginer « comment le plurilinguisme peut ouvrir différentes perspectives et améliorer la qualité des connaissances en offrant un remède à « l’écrasement » de différentes cultures académiques et scientifiques. » (Ibid.). Ce souci de la diversité n’est pas seulement une lutte de principe contre des formes d’uniformisation linguistiques et culturelles, il contribue aussi à favoriser une densification des connaissances : l’altérité linguistico-culturelle participant d’une « dé-familiarisation » qui oblige à approfondir et à « épaissir » l’élaboration des connaissances (Gajo, 2003, 2006). Différents travaux de recherche montrent en effet que « [l]a dimension plurilingue introduit la question de la pluralité des perspectives liées aux langues, cultures et traditions de recherche, mais aussi celle de la diversification des perspectives sur un objet de recherche liée à la diversification des moyens langagiers et des manières de verbaliser les contenus de recherche, de mettre en discours les concepts scientifiques » (Steffen et al. 2015). C’est sur de telles possibilités dans les domaines de la recherche et de l’enseignement/apprentissage que se concentrera le troisième temps du symposium, à partir de projets ou d’expériences en cours d’élaboration.

 

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  1. 3.     Partages d’idées et d’expériences pour une intégration plurilingue et interculturelle à l’université

 

Dans cette orientation, le troisième temps permettra de poursuivre la réflexion sur des possibilités concrètes de mise en œuvre de pratiques formatives pour favoriser des formes d’appropriation plurielles, linguistiquement et disciplinairement.

 

La première question qui se posera ici sera de faire un bilan des pratiques déjà existantes dans les universités partenaires : pratiques de la traduction, diversité des usages de l’EMI (English Medium-Instruction), mobilisation de l’intercompréhension, alternances des langues en cours, prise en compte des langues des étudiants internationaux ou exilés, etc. Un focus particulier sera effectué sur l’EMI, ce type d’enseignement constituant un enjeu particulier pour les universités internationalisées : en effet, l’EMI pose notamment la question de la variabilité des formes de l’anglais/des anglais (Widdowson, 1997), ainsi que de la prise en compte des autres langues des étudiants dans ces enseignements. Plusieurs travaux ont spécifiquement abordé ces problématiques dans le champ de l’enseignement supérieur.

Par exemple, Galante & al. (2019) relatent une expérience de mise en œuvre d’une pédagogie plurilingue dans un cours d’anglais académique (English for Academic Purposes – EAP) au Canada :

“The use of languages other than English was not only allowed but purposefully required so that students could realize the pedagogical potential of using translanguaging and comparons nos langues to learn academic English“ (p. 128).

Les autrices insistent également sur l’importance de la prise en compte des contextes dans la mobilisation de telles pédagogies plurilingues :

“Plurilingual pedagogy in higher education can take several forms, and we argue that prior to implementing language tasks, an analysis of the environment is needed” (p. 130).

Ce type d’expérimentation et d’autres existantes (Cenoz et Gorter, 2013 : Towards a Plurilingual Approach in English Language Teaching: Softening the Boundaries Between Languages) font très largement écho aux orientations du WP7 et pourront utilement alimenter notre réflexion. 

 

Les collègues de l’alliance NEOLAiA invités à participer à ce symposium effectueront en amont une recension des différentes pratiques éventuellement existantes dans leur environnement.

 

Il sera également utile de réaliser une comparaison avec ce qui est développé de ce point de vue dans les autres alliances et/ou projet européens : le projet NEOLAiA ne pourra que bénéficier de retours et de partages d’expériences pour penser sa propre originalité. Par exemple, l’alliance européenne UNITA[5] propose une formation « permett[ant] de développer connaissance et pratique de l’intercompréhension par l’interaction plurilingue à l’écrit et à l’oral des participant à l’échelle du réseau […] ».

La diversité des initiatives en faveur du plurilinguisme dans les autres alliances ne peut que bénéficier à la réflexion au sein de NEOLAiA.

 

On proposera également un échange de pratiques et d’expériences d’enseignants-chercheurs à partir de la question suivante : comment faire concrètement pour une prise en compte effective de la pluralité linguistique et culturelle dans nos universités ? Des enseignant.es-chercheur.es ayant mené des enseignements problématisant le rôle des langues, mais aussi de l’histoire ou de la diversité des concepts dans l’appropriation des disciplines témoigneront de ces expériences et travailleront sur différentes possibilités de diversifier les démarches de ce type (Castellotti, Courtaud et Debono 2024). Des étudiant.es seront aussi invités pour témoigner des potentiels effets produits par ces dispositifs d’enseignement, mais aussi plus largement pour témoigner de leurs expériences d’études suivies dans différentes langues et traditions académiques.

 

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  1. 4.     Rédaction collaborative d’une Charte commune de politique linguistique universitaire

 

À partir de réflexions menées dans les trois premiers temps du symposium, le dernier temps sera consacré à la rédaction de la Charte. Les grandes lignes en seront posées lors d’une séance de rédaction collaborative et plurilingue : des groupes de travail seront constitués et incluront les représentants de chaque université partenaire. Chaque groupe déterminera les points qui semblent importants à mettre en avant dans la Charte, en lien avec le certificat d’accréditation.

 

Modalités de travail 

Conformément aux orientations politiques linguistiques envisagées par le consortium, des modalités de communication et de discussion plurilingues seront possibles, une équipe de traducteur-interprètes étant dédiée à la traduction simultanée des échanges entre les participants.


 

Bibliographie

BAGGIONI D., 1997, Langues et nations en Europe, Coll. Bibliothèque Scientifique Payot. Paris : Payot.

BEACCO J.-C., BERTRAND O., HERRERAS J. C. & TREMBLAY Ch., 2022, La gouvernance linguistique des universités et établissements d’enseignement supérieur. Observatoire européen du plurilinguisme.

BEACCO J.-C., 2016, École et politiques linguistiques. Pour une gestion de la diversité linguistique, Paris : Didier.

BERTHOUD, A.C. & GAJO, L. 2020 The Multilingual Challenge for the Construction and Transmission of Scientific Knowledge, Amsterdam, John Benjamins

CASTELLOTTI, V., COURTAUD, L. & DEBONO, M. 2024, « Plurilinguisme et interculturalité dans l’enseignement supérieur : aspects institutionnels, appuis théoriques et pistes d’intervention », Language Education and Multilingualism. The Langscape Journal,  Vol. 6, https://edoc.hu-berlin.de/handle/18452/28625

CENOZ J. & GORTER, D. 2013, “Towards a Plurilingual Approach in English Language Teaching: Softening the Boundaries Between Languages”, TESOL Quarterly Vol. 47, Issue 3, 591-599, https://doi.org/10.1002/tesq.121

 

GAJO, L., 2003, « Pratiques langagières, pratiques plurilingues : quelles spécificités ? quels outils d’analyse ? Regards sur l’opacité du discours », dans Tranel, 38/39, p. 49-62.

 

GAJO, L., 2006, « Types de savoirs dans l’enseignement bilingue : problématicité, opacité, densité », dans Éducations et sociétés plurilingues n° 20, p. 76-87.

 

GAJO L., 2013, « Le plurilinguisme dans et pour la science : enjeux d'une politique linguistique à l'université », in Synergies Europe, no8, p. 97-109.

 

GALANTE, A., OKUBO, K., COLE, C., ABD ELKADER, N., CAROZZA, N., WILKINSON, C., WOTTON, C. &  VASIC, J. (2019) “Plurilingualism in Higher Education: A Collaborative Initiative for the Implementation of Plurilingual Pedagogy in an English for Academic Purposes Program at a Canadian University”, TESL Canada Journal, 36(1), 121–133. https://doi.org/10.18806/tesl.v36i1.1305

GRIN F., 2022, « Internationalisation et anglicisation des universités : diagnostic et éléments de stratégie », dans Beacco Jean-Claude, Bertrand Olivier, Herreras José Carlos et Tremblay Christian (2022). La gouvernance linguistique des universités et établissements d’enseignement supérieur. Observatoire européen du plurilinguisme.

GRIN F., 2013, « L'anglais dans l'enseignement académique : le débat s'empare des clichés », in European Journal of Language Policy.

HAGÈGE C., 2012, Contre la pensée unique, Paris : Odile Jacob.

HUGHES R., 2008, « Politiques et gestion de l'enseignement supérieur », Éditions de l'OCDE | 2008/1 no20, p. 120-140. Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.inforevue-politiques-et-gestion-de-l-enseignement- superieur-2008-1-page-121.htm

KNIGHT J., 2011, « Five myths about internationalization », in International Higher Education, n°62, p. 14–15.

LAFOREST M., BRETON G. & BEL D., (dir.), 2014, Réflexions sur l'internationalisation du monde universitaire, Paris : Éditions des archives contemporaines.

LE LIÈVRE F., ANQUETIL M., DEVIVRY-PLARD M., FÂCKE Ch. & VERSTRAETE-HANSEN L., 2018, (éds.), Langues et cultures dans l'internationalisation de l'enseignement supérieur au XXIe siècle. (Re)penser les politiques linguistiques : anglais et plurilinguisme, Berne : Peter Lang.

PHILLIPSON R., 2019, TESOL [Teachers of English to Speakers of Other Languages]
International Convention & English Language Expo, Atlanta, Georgia, USA. 12-15 March 2019, « Professionalism and myths in TESOL » https://era.ong/en/tesol-2019-professionalism-and-myths-in-tesol/

STEFFEN, G., SEDOOKA, A., PAULSEN, T. & DARBELLAY, F., 2015. Pratiques langagières et plurilinguisme dans la recherche interdisciplinaire : d’une perspective mono à une perspective pluri. Questions de communication, 27, 323-352. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.9862

TRUCHOT C., 2018, « Internationalisation, anglicisation et politiques publiques de l’enseignement supérieur », dans F. LE LIÈVRE, M. ANQUETIL, M. DEVIVRY-PLARD, C. FÂCKE et L. VERSTRAETE-HANSEN éds.), Langues et cultures dans l'internationalisation de l'enseignement supérieur au XXIe siècle. (Re)penser les politiques linguistiques : anglais et plurilinguisme, Berne : Peter Lang.

USUNIER J.-C., 2010, « Langue et équivalence conceptuelle en management interculturel », Le Libellio d’ AEGIS, vol. 6, no 2, p. 3-25.

WIDDOWSON, H.G. 1997, “EIL, ESL, EFL : Global Issues and Local Interests”, World Englishes, Vol.16 Issue 1 – 139-146.

 



[3] A.-C. Berthoud pour le groupe de travail « Langues et sciences » du Conseil Européen pour les langues/European Language Council (CEL/ELC)

[4] Cette notion de « multiperspectivité » apparaît également dans le Guide pour le développement et la mise en œuvre de curriculums pour une éducation plurilingue et interculturelle, Beacco et. al., 2016, Conseil de l'Europe. Dans une démarche interculturelle, est mis en avant l'intérêt de proposer des enseignements d'histoire selon une multiperspectivité linguistique et culturelle ; in fine, l'objectif est la reconnaissance et la compréhension d'autres peuples et la compétence à se créer une culture historique qui ne soit pas fondée sur un seul point de vue (2016 : 72).

 

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